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Le football à bout de souffle : comment les calendriers foncent vers la saturation (Dossier, 1/3)

11 juin 2025 à 05:00Temps de lecture

Compétitions à la chaîne, saisons interminables, intérêts économiques omniprésents : le football professionnel masculin s’engouffre dans une spirale de surcharge. En trois épisodes, la RTBF décrypte les dérives d’un calendrier de plus en plus étouffant, replacé au centre du débat par la réforme de la Coupe du monde des clubs.

© Belga Images

Ce mercredi, focus sur le cœur du problème : l’accumulation des rencontres. Alors que la menace de la grève a déjà été brandie, la FIFA doit aujourd’hui faire face à la fronde des syndicats des joueurs, particulièrement remontés depuis l’imposition du Mondial des clubs.

"La saison a été dure, physiquement et mentalement." À l’image de Federico Valverde, de nombreux footballeurs professionnels tirent la langue en cette fin de saison 2024-2025. Mais pour certains d’entre eux, les vacances estivales arriveront encore plus tard que d’habitude. En cause : la Coupe du monde des clubs, élargie à 32 équipes par la FIFA et qui a nécessité la création d’un mercato anticipé pour les clubs européens impliqués.

Rudi Garcia sur la Coupe du monde des clubs : "Des joueurs ne vont pas pouvoir breaker"

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Le 24 avril dernier, lors d’un entretien avec le sélectionneur des Diables Rouges Rudi Garcia, nous lui demandions son avis sur ce nouveau format du Mondial des clubs, qui prendra place du 14 juin au 13 juillet prochains. Et le Français ne mâchait pas ses mots. "On va avoir des joueurs qui ne vont pas se reposer, qui ne vont pas pouvoir breaker. Ça devient compliqué : on demande aux joueurs de jouer toute l’année et de jouer tous les trois jours. Au bout d’un moment, je ne dis pas qu’on va tuer la poule aux œufs d’or… mais le but, c’est d’avoir les meilleurs joueurs sur le terrain et pas à l’infirmerie. Ceux qui font le spectacle, ce sont les grands joueurs. Si vous leur faites jouer, au lieu de 50-60 matches, 70 matches sans jamais couper, ils vont plutôt en er 35 à l’infirmerie. Il y a du politique, il y a du financier derrière… il faut trouver une harmonie pour protéger les joueurs. "

Comme de nombreux acteurs du foot avant lui, Rudi Garcia met en lumière la principale critique adressée à la compétition : motivée par l’appât du gain de la FIFA, qui s’est acheté le consentement des clubs participants en leur promettant 926 millions d’euros de prize money, elle alourdit encore un peu des calendriers déjà surchargés. Et ce lors d’une année impaire, dont l’été est normalement plus light en l’absence de Coupe du monde, d’Euro, de Copa America ou de Jeux Olympiques.

Alvarez en symbole, Koundé en porte-parole du combat

Déjà épinglé parmi les joueurs les plus sollicités lorsqu’il évoluait à Manchester City, Julian Alvarez illustre à lui seul l’ampleur du problème. L’attaquant de 25 ans, cadre de l’Atlético de Madrid et de la sélection argentine, pourrait déer pour la troisième saison consécutive la barre des 70 rencontres disputées au terme du Mondial des clubs. La FIFPRO, le syndicat mondial des joueurs, estime pourtant que 55 apparitions en match sur une même saison constituent déjà une charge excessive de travail. Et qualifie d’historique, au sens négatif du terme, la saison 2023-2024 d’Alvarez, "avec 75 apparitions et 83 inclusions dans l’équipe du jour de match au cours d’une saison de quatorze mois comprenant dix compétitions différentes".

Le rythme effréné de certains Diables Rouges pose également question. La palme du surmenage revient cette saison à Hans Vanaken : en l’espace de 61 rencontres, le capitaine du Club Bruges a joué 5288 minutes, 68 de plus que son coéquipier en club et en sélection Brandon Mechele. Malgré une blessure musculaire au mois de mai, Youri Tielemans complète le podium. Le médian d’Aston Villa cumule 5029 minutes, étalées sur 60 matches. Précisons que ces chiffres ahurissants ne tiennent même pas compte du temps additionnel, qui atteint aisément les dix minutes lors de certaines rencontres.

La situation de Jules Koundé est encore plus alarmante. Le défenseur français du FC Barcelone a récemment achevé une série folle de 104 rencontres consécutives en club et en sélection, entamée fin novembre 2023. Il était d’ailleurs le joueur de champ le plus actif au monde en 2024, avec 70 rencontres et 5962 minutes au compteur. Coïncidence ou pas, Koundé s’est finalement blessé à la cuisse en demi-finale aller de la Ligue des champions face à l’Inter le 30 avril dernier.

Pas étonnant, dès lors, que le Français compte parmi les joueurs les plus virulents à l’égard des calendriers. En début de saison, il avait d’ailleurs appuyé les déclarations de l’Espagnol Rodri, qui estimait "proche" une grève généralisée des footballeurs pour exprimer leur ras-le-bol. "Je suis d’accord avec Rodri. Chaque année, le calendrier est encore plus chargé. Chaque année, nous avons plus de matchs et moins de temps pour récupérer. Ce n’est pas faute de l’avoir dit. On le répète depuis trois ou quatre ans mais personne ne nous écoute. Nous sommes les acteurs principaux, nous les joueurs. Les entraîneurs l’ont également dit et ils ne sont pas écoutés non plus. Il va arriver un moment où on va devoir faire grève, parce que c’est la seule manière pour nous de faire entendre notre voix auprès de ceux qui décident."

Alvarez, Tielemans, Vanaken, Koundé : les cas de ces quatre joueurs sont révélateurs. La surcharge de rencontres affecte en particulier les joueurs internationaux dont le club et la sélection atteignent les derniers stades des compétitions qu’ils disputent. Pour ces footballeurs très sollicités, le fait de jouer tous les trois à quatre jours est désormais banalisé.

La FIFA prise à partie

Le président de la FIFA Gianni Infantino. © AFP or licensors

C’est justement pour enrayer cette dynamique que la FIFPRO Europe et European Leagues, qui représentent respectivement les syndicats de joueurs et les ligues nationales européennes, et LaLiga espagnole ont déposé une plainte contre la FIFA auprès de la Commission européenne en octobre dernier. Elles estiment que "l’imposition par la FIFA de décisions sur le calendrier international constitue un abus de position dominante et viole le droit de l’Union européenne".

Par la voix de leurs syndicats, les joueurs reprochent donc à la FIFA d’augmenter le nombre de rencontres par saison sans les consulter et en méprisant les directives européennes en matière de santé et de sécurité des travailleurs. "À la FIFA, ils se foutent de tout, confiait le président de la FIFPRO Europe David Terrier à L’Équipe en septembre dernier. Ils décident de tout unilatéralement. Mais où ça va s’arrêter dans l’incohérence ? La saison à venir (cette saison, ndlr) va être la pire de l’histoire pour les top players. On n’a pas de représentants de joueurs, on n’a pas de voix et on n’a pas de poids à la FIFA. C’est une réalité. On n’est pas écouté."

La FIFA se croit par moments un peu au-dessus des lois, ce n’est pas évident de négocier

Cette plainte fait suite à une autre, déposée auprès du Tribunal de Commerce de Bruxelles. Selon David Terrier, la réforme du Mondial des clubs a constitué "la goutte d’eau qui fait déborder le vaseTout a été déé en termes d’irrespect des lois, de pouvoir décisionnel car seuls la FIFA et les clubs ont décidé des règles, du droit du travail, des conventions collectives." Architecte des compétitions européennes (Euro, Ligue des Nations, Champions League, Europa League et Conference League), l’UEFA opte pour plus de concertation et bénéficie donc de la clémence des syndicats.

Responsable de la cellule foot d’United Athletes, Sébastien Stassin appelle également la FIFA et l’UEFA à revoir leur copie. "C’est tout le système international qui doit changer. Mais il ne changera pas, car ces instances veulent faire de plus en plus d’argent. La FIFA est un organe qui se croit par moments un peu au-dessus des lois et ce n’est donc pas évident de négocier avec eux. Mais il faut trouver des solutions : il y a tellement de joueurs internationaux qui font des milliers de kilomètres avec leur équipe nationale et puis qui rentrent en club et jouent le jour d’après en compétition… Le repos physique et mental n’est pas présent chez ces personnes."

Pour appuyer ses revendications, la FIFPRO recense scrupuleusement la charge de travail des footballeurs professionnels, condensés dans ce rapport, illustrent bien la pression exercée sur les joueurs internationaux en Amérique, Asie, Afrique ou Océanie et actifs dans un club européen. Sur cette période, le défenseur de Tottenham et international argentin Cristian Romero avait par exemple parcouru 162.978 kilomètres au-delà des frontières, soit plus de quatre tours du monde, pour exercer son métier. Après être monté au jeu durant le match Iran-Japon à la Coupe d’Asie des Nations le 3 février 2024, Takumi Minamino avait fait de même… à Monaco, le lendemain en Ligue 1. Le Hondurien Alexander López était pour sa part le champion des matches trop rapprochés : il en avait enchaîné 19 au rythme de deux par semaine avant de pouvoir souffler un peu.

© FIFPRO

Et les clubs dans tout ça ?

Une analyse de l’Observatoire du football (CIES) l’a démontré l’été dernier : en moyenne, les clubs professionnels de football n’avaient pas disputé plus de rencontres en 2024 qu’en 2012. Le nombre d’équipes cumulant plus de 60 rencontres officielles par exercice était même en baisse. Il ne faut pas perdre de vue que la majorité des clubs ne disputent que leur championnat et leur coupe nationale et ne sont donc pas affectés par l’introduction de la Coupe du monde des clubs et l’allongement des compétitions européennes.

En Belgique, par exemple, les clubs non concernés par l’Europe ont disputé entre 37 et 46 rencontres cette saison, de fin juillet 2024 à fin mai 2025. Ces matches sont étalés sur environ 35 semaines de compétition si l’on exclut les fenêtres internationales. Un rythme modéré par rapport à celui des cinq clubs européens, qui ont déjà franchi la barre des 50 rencontres sur la même période et ont donc disputé deux rencontres par semaine plus d’une semaine sur deux. Sur ce point, le retour quasi acté de la Pro League à une formule classique à 18 clubs soulagera les clubs habitués à l’Europe et aux Champions' Play-offs, puisqu’ils ne disputeront plus que 34 matches de championnat contre 40 actuellement.

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Prudence à l’avenir cependant : selon le CIES, les réformes actées par l’UEFA et par la FIFA pourraient faire grimper à 19,7% la proportion des clubs disputant entre 50 et 69 rencontres par saison d’ici 2028, contre 1,6% entre 2020 et 2024. De plus en plus de joueurs, internationaux ou non, pourraient donc atteindre une charge excessive de travail, soit 55 apparitions en match et plus selon les recommandations de la FIFPRO.

Ce jeudi, le deuxième épisode de notre série "Le football à bout de souffle" vous emmènera justement à la découverte des dangers engendrés par l’accumulation des rencontres, de la multiplication des blessures au raccourcissement des carrières.

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